Pierre Defraigne ou l'Europe au coeur 

Pierre Defraigne a pris rang parmi les penseurs de l’Europe qui nous ont quittés, mais dont la trace n’est pas près de s’éteindre

L’Europe fut au cœur de ses deux vies de travail: de haut fonctionnaire à  la Commission, bien sûr, mais aussi, et peut-être surtout, d’intellectuel. Toujours inséparables l’une de l’autre, qu’il s’agisse de décider, de proposer, de conseiller, d’enseigner ou de plaider sa cause en public. Il lisait énormément, écoutait beaucoup, accumulait des notes à partir desquelles il préparait ses exposés ou ses propres écrits. Il argumentait ensuite pas à pas et entendait que l’on fît de même avec lui. Ni le débat, ni même la controverse ne le rebutaient. Au contraire, il aimait les organiser. Pour y voir plus clair, disait-il.

Il voulait  l’Europe au cœur du monde sur lequel il portait un regard mieux informé et plus lucide que beaucoup d’autres, ayant très tôt perçu les redoutables enjeux géoéconomiques, géopolitiques et environnementaux de notre siècle. Il l’ambitionnait plus intégrée pour être plus forte, plus autonome, plus solide, mieux à même de résister aux chocs qu’il anticipait depuis longtemps.

Il la souhaitait au cœur de la politique tant il était convaincu de la nécessité de l’union des européens  pour  porter à l'avenir  les valeurs humanistes et de justice sociale qu’il défendait de manière exigeante, voire, sur le tard,  intransigeante. Et il s'agaçait de plus en plus souvent des  lenteurs  de ses progrès qu’il attribuait à  la pusillanimité de ses dirigeants.

Il l’installait aussi au cœur des hommes, en homme de foi, en chef d’équipe respecté, en ami attentif, fidèle, et préoccupé du sort de ses semblables, ouvert à leurs différences et disponible à leurs souffrances.

Il aura mieux que personne  illustré la maxime d’Henri Madelin, autre promoteur de la cause européenne qui fut provincial des jésuites en France et qu’il admirait, selon laquelle la pensée de l’en-haut ne fait de sens qu’ensemble avec celle  de l’en-bas. Cet en-bas où sa parole nous manque déjà.

Pascal Lamy

Août 2022