Comment le nouveau CFP pourrait remodeler la gouvernance budgétaire de l’UE et l’avenir de la PAC
19 September 2925

Comment le nouveau CFP pourrait remodeler la gouvernance budgétaire de l’UE et l’avenir de la PAC

Description

La proposition de budget à long terme de l’Union européenne pour la période 2028-2034 fusionne les principales politiques, de l’agriculture et de la cohésion à la gestion des frontières, au sein d’un fonds de 800 milliards d’euros mis en œuvre par des plans nationaux. Cette publication analyse les leviers dont dispose encore la Commission, dans ce nouveau contexte, pour prévenir la fragmentation, garantir le respect des normes environnementales et faire appliquer l’État de droit. Crédit photo : Union européenne, 2025

Contexte

Le 16 juillet, la Commission européenne a présenté sa proposition (COM(2025) 571 final) pour le nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) : le plan budgétaire à long terme de l'UE qui répartit les ressources entre les différents domaines politiques pour la période 2028-2034. Les textes législatifs proposés ouvrent la voie à un conflit fondamental : les nouvelles priorités urgentes de l'Union européenne en matière de dépenses (défense, compétitivité, élargissement) et la volonté de mettre en place un budget plus rationalisé, plus flexible et axé sur les performances se heurtent à la structure traditionnelle de la politique agricole commune (PAC), aux attentes de financement stable de la part des agriculteurs et aux objectifs déclarés de compétitivité, de résilience et de durabilité. Cette tension menace non seulement d'entraîner des coupes budgétaires dans le soutien aux agriculteurs européens et une réduction des ambitions environnementales de la PAC, mais aussi un changement significatif dans son modèle de gouvernance.  

Les textes proposés, dans leur version actuelle, reflètent la réorientation continue vers une politique agricole plus nationalisée. Cette tendance n'est pas nouvelle : la dernière réforme de la PAC, avec son nouveau modèle de mise en œuvre, avait déjà confié aux États membres la responsabilité de concevoir certaines mesures dans le cadre de leurs plans stratégiques nationaux (Lamy & Pons et al., 2024), affectant aussi bien les paiements directs que les fonds de développement rural. Ce qui apparaît aujourd’hui n’est toutefois pas une simple extension de cette flexibilité, mais bien un rééquilibrage majeur des pouvoirs entre Bruxelles et les capitales nationales, au bénéfice de ces dernières. La question se pose dès lors de savoir dans quelle mesure la PAC peut encore être qualifiée de « commune ». 

Un cadre financier pluriannuel restructuré

La Commission européenne propose une restructuration complète du budget à long terme de l'UE afin de créer un système plus simple qui renforce la subsidiarité et la flexibilité. Ce cadre s'inspire largement du modèle de gouvernance de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) post-Covid, en intégrant notamment sa logique « cash-for-reform » (des fonds en échange de réformes), qui conditionne le versement des fonds européens à la réalisation d'objectifs convenus conjointement par la Commission et les États membres. 

Alors que le CFP actuel couvre sept rubriques et environ cinquante programmes, pour un montant total de 1 200 milliards d'euros (aux prix de 2025), la nouvelle proposition les regroupe en quatre piliers principaux, pour un montant total de 1 800 milliards d'euros : 

1. Cohésion économique, sociale et territoriale, agriculture, prospérité et sécurité rurales et maritimes

2. Compétitivité, prospérité et sécurité

3. Europe mondiale

4. Administration de l'UE

Au cœur de la première rubrique se trouve le Fonds de partenariat national et régional (FPNR), doté de 800 milliards d'euros, représentant plus de 80 % des ressources de ce pilier. Ce nouvel instrument combine la politique agricole, la gestion des migrations et des frontières et le financement de la politique de cohésion dans un cadre unique, mis en œuvre au moyen de plans élaborés au niveau national qui définissent des étapes et des objectifs spécifiques. Les plans sont d'abord évalués par la Commission européenne, puis approuvés par le Conseil. La Commission peut suspendre tout ou partie des paiements si un ou plusieurs jalons ou objectifs ne sont pas atteints, dans le respect du principe de proportionnalité. 

Si adopté, ce nouveau CFP marquerait un tournant majeur pour la politique agricole. La PAC, qui a toujours été l'une des politiques les plus importantes et les plus autonomes de l'UE, serait absorbée dans cette structure plus large.

La distinction de longue date entre ses deux instruments de financement disparaîtrait également : le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), qui fournit un soutien direct aux revenus des agriculteurs, et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) seraient tous deux intégrés sans distinction dans le FPNR. 

Les États membres assumeraient une responsabilité beaucoup plus grande dans le cadre de plans nationaux (plans PNR), en établissant l'équilibre entre l'allocation des ressources à l'agriculture, au développement rural, à la cohésion et à la politique migratoire, dans le cadre fixé par le règlement PNR (COM(2025) 565 final). Cette flexibilité s'exercerait toutefois dans certaines limites : l'article 10 du projet de règlement fixe des allocations minimales dans chaque domaine politique.

Pour la politique agricole, plus de 290 milliards d'euros seraient réservés au niveau européen pour des mesures de soutien des revenus, y compris des paiements directs aux agriculteurs, et des actions agroenvironnementales et climatiques. Cette garantie vise à préserver les éléments essentiels de la PAC qui touchent le plus directement les agriculteurs, en les protégeant des risques liés à une plus grande flexibilité des dépenses de la part des États membres.

Le statut particulier de ces mesures se reflète également dans la proposition de règlement ad hoc sur la PAC (COM(2025) 560 final), dans le cadre du FPNR, qui définit essentiellement des règles détaillées pour le soutien direct aux agriculteurs.  

En revanche, les mesures de développement rural (à l'exception des mesures agroenvironnementales et climatique) semblent plus exposées aux pressions de réaffectation au niveau national. Au total, environ 235 milliards d'euros resteraient non affectés au niveau de l'UE, ce qui donnerait aux États membres une marge de manœuvre considérable pour réorienter les ressources entre les domaines politiques couverts par le FPNRen fonction des priorités nationales.   

Gouvernance européenne et décentralisation de la PAC : quelle articulation possible ? 

Une plus grande flexibilité nationale devrait être contrebalancée par un renforcement de la surveillance au niveau de l'Union afin de garantir : 

- Le respect des valeurs de l'UE dans l'attribution et l'utilisation des fonds de la PAC;

- La préservation d'un cadre supranational commun pour la politique agricole.

Dans les projets de textes, des mécanismes de conditionnalité renforcés sont proposés afin de garantir le respect de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, fournissant ainsi le socle commun minimal nécessaire à une bonne mise en œuvre de la PAC et, plus largement, du budget de l'Union. Néanmoins, les inquiétudes concernant la fragmentation de la politique agricole, et en particulier des normes environnementales, laissent planer des doutes quant à l'efficacité globale de la proposition pour contribuer à la compétitivité à long terme des agriculteurs de l'UE, à la réalisation des objectifs environnementaux et à l'intégration des marchés.  

1.        Assurer le respect des valeurs européennes : les nouveaux mécanismes de conditionnalité  

Le respect de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux sont des obligations qui couvrent déjà formellement le cadre actuel de la PAC, mais leur efficacité pratique reste limitée. En vertu du règlement 2020/2092 (règlement sur la conditionnalité), permet au Conseil de suspendre les fonds (à la majorité qualifiée) sur proposition de la Commission lorsque des violations compromettent la bonne gestion financière du budget de l'UE. Toutefois, ce mécanisme a été critiqué pour ses exigences procédurales lourdes et ses strictes conditions, limitant son efficacité face à des défaillances systémiques (Huemer et al., 2025), comme des atteintes à l’indépendance judiciaire pouvant compromettre le contrôle des décisions illégales des autorités nationales gestionnaires des fonds de la PAC. Le respect de la Charte est encore moins contraignant, l’article 9 du règlement sur les plans stratégiques de la PAC (règlement 2021/2115) se limitant à énoncer l’obligation sans prévoir de mécanisme spécifique de contrôle. 

Le règlement FPNR introduirait deux systèmes de conditionnalité distincts : l'un pour le respect de la Charte (article 8) et l'autre pour le respect de l'État de droit (article 9). Ce dernier reflète le règlement sur la conditionnalité, mais avec des conditions simplifiées. La Commission pourrait déclencher le mécanisme dès qu'elle estime qu'un État membre ne respecte plus la condition relative à l'État de droit, elle n'aurait qu'à « prendre en considération » plutôt qu'à « établir » l'incidence réelle ou potentielle de la violation sur le budget de l'UE, ainsi que sa nature, sa durée, sa gravité et sa portée.

Cette reformulation pourrait ouvrir la voie à la lutte contre les violations de l'État de droit qui n'ont pas nécessairement d'effet immédiat ou facilement démontrable sur le budget.

Le Conseil devrait toujours prendre la décision finale, mais uniquement par l'adoption d'un acte d'exécution confirmant la violation de la condition relative à l'État de droit, plutôt que portant directement sur l'imposition de sanctions. Cette modification mineure sur le plan de la formulation linguistique pourrait réduire la résistance politique et favoriser les chances d'obtenir une majorité qualifiée. Si le manquement est confirmé par le Conseil, l'article 9, paragraphe 5 impose que les paiements des mesures concernées du plan national sont automatiquement suspendus jusqu’à ce que l’État membre se conforme au respect de l'État de droit.  

La suspension des paiements pour des mesures spécifiques pourrait également résulter de violations de la Charte par le biais d'un mécanisme parallèle prévu à l'article 8. Suivant le modèle de l'article 9, la Commission déclencherait la procédure et devrait « prendre en considération » l'incidence réelle ou potentielle de la violation sur le budget de l'UE. Toutefois, dans ce cas, la Commission déciderait seule du non-respect de la condition prévue par la Charte, directement par l'adoption d'une décision d'exécution et sans aucune intervention du Conseil. 

De cette manière, le règlement NRPF pourrait représenter un pas en avant dans le renforcement de la capacité de l'UE à défendre ses valeurs.

Au-delà des mécanismes d'application renforcés, le règlement représente également un progrès significatif dans l'intégration dès le départ du respect de l'État de droit et de la Charte, les pouvoirs d'évaluation de la Commission concernant les plans nationaux couvrant le respect de ces principes. Dans leurs projets de plans, les États membres devraient identifier les lacunes potentielles et proposer des mesures correctives sur la base des conclusions spécifiques à chaque pays figurant dans le rapport sur l'état de droit (article 22, paragraphe 3, points p) et q), du règlement FPNR), et la Commission est tenue d'évaluer particulièrement ces éléments lors de l'examen des plans (article 23, paragraphe 1, du règlement FPNR). En conséquence, les plans nationaux ne seraient pas approuvés sans l'assurance préalable que ces deux conditions horizontales sont pleinement remplies. 

2.       Préserver l'unité et la coherence face aux risques de fragmentation de la politique agricole 

Tous les financements européens sont l'expression de la solidarité entre les États membres, et cette solidarité repose sur la confiance mutuelle, qui exige à son tour le respect de valeurs communes. Si les mesures décrites dans le paragraphe précédent peuvent contribuer à renforcer cette confiance, la proposition de la Commission se heurte à des difficultés majeure pour atténuer le risque de disparités et d'obstacles au sein du marché unique.

En l'absence d'un cadre commun solide et contraignant, les États membres risquent de diverger considérablement dans leurs normes, notamment en ce qui concerne les ambitions environnementales, créant ainsi des distorsions et une perception de concurrence déloyale entre les agriculteurs et les autres opérateurs économiques tout au long de la chaîne de valeur agroalimentaire. 

Dans le cadre du FPNR, le règlement de la PAC, qui établit les règles régissantes le soutien direct aux agriculteurs, ne définit que des objectifs généraux de politique agricole sans introduire d'objectifs contraignants. Ces objectifs comprennent la préservation du potentiel des sols, la protection des cours d'eau contre la pollution et la sauvegarde des zones humides et des tourbières (article 3, paragraphe 4, et annexe correspondante). Toutefois, chaque État membre conserverait une grande latitude pour déterminer les modalités de réalisation de ces objectifs en établissant un ensemble de pratiques de protection à inclure dans ses plans PNR, auxquelles les agriculteurs doivent se conformer pour recevoir des paiements. 

La raison d'être de cette subsidiarité renforcée est de permettre la mise en place de politiques adaptées à la diversité des contextes agricoles au sein de l'Union. Cependant, l'expérience de la PAC actuelle et de son nouveau modèle de mise en œuvre remet en question cette hypothèse. Les autorités nationales bénéficient déjà d'une flexibilité considérable grâce à des instruments tels que les programmes d'eco-régimes, des programmes de soutien financier conçus au niveau national pour les agriculteurs qui adoptent des pratiques respectueuses de l'environnement. Néanmoins, les États membres ont souvent négligé d'exploiter cette flexibilité pour promouvoir des mesures environnementales plus ambitieuses. Dans certains cas, les eco-régimes ont été délibérément conçus de manière à être accessibles à presque tous les agriculteurs, permettant ainsi des paiements sans exiger de changements significatifs dans les pratiques existantes. (Lamy & Pons et al., 2024 ; Midler et al., 2023 ; Bradley & Pagnon, 2023).  

L'approche proposée pourrait aboutir à une nouvelle PAC qui ne produirait pas de résultats environnementaux tangibles, tout en générant un cadre réglementaire fragmenté caractérisé par uns mosaïque de mesures nationales qui ne parviennent pas à améliorer la compétitivité agricole et sapent les efforts visant à renforcer le marché unique.

Un cadre faible au niveau européen et une subsidiarité accrue pourraient affaiblir davantage les ambitions environnementales et générer des tensions, conduisant à une concurrence indésirable entre les États membres dans la mise en œuvre de la prochaine PAC.

Pour contrer ce risque, la Commission dispose de très peu de leviers.

L'un d'entre eux réside dans les recommandations nationales de la PAC, qui pourraient fournir un minimum d'orientation politique au niveau de l'Union et guider les États membres dans la préparation de leurs plans PNR en matière d'agriculture.

Bien qu'il s'agisse d'un instrument juridique non contraignant, ces recommandations pourraient jouer un rôle important dans le nouveau cadre. Elles viseraient à relever les « défis clés » et à définir les « interventions pertinentes », notamment en ce qui concerne les revenus et la compétitivité des agriculteurs, l'action pour le climat et la conservation de la biodiversité (article 2 et considérant 4 du règlement PAC). La Commission a déjà démontré l'efficacité de l'utilisation d'outils similaires lors de la précédente réforme de la PAC pour favoriser une plus grande cohérence politique entre les plans stratégiques nationaux et promouvoir l'alignement sur sa vision politique grâce à la publication de recommandations détaillées (Caiati & Pratelli, 2025). Ces instruments se distinguent par leur spécificité, étant méticuleusement adaptés à chaque État membre, tout en restant inspirés par la vision commune du Pacte vert. 

À titre de contrôle supplémentaire, l'évaluation par la Commission des plans PNR avant leur approbation constituerait le garde-fou essentiel.

Ce processus fournirait un point de contrôle crucial pour s'assurer que les États membres ont dûment tenu compte dans leurs plans des recommandations formulées par la Commission et que les mesures proposées contribuent véritablement à la réalisation des objectifs climatiques et environnementaux de l'Union et à l'achèvement du marché unique, comme l'exige le FPNR. En définitive, le caractère supranational de la politique agricole commune et le standards environnementaux équivalents et cohérents entre les États membres dépendront de la rigueur et de la cohérence de cette évaluation. 

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